Cristallisation...

"...Nous avancions comme un bataillon de mécréants et de terroristes, nous étions des réprouvés, mais l’on sentait que « la révolution brûlait dans nos coeurs ». Non pas la révolution sociale de l’engagement sartrien, mais la transformation radicale des textes, qui sont le tissu de notre vie."
Alain Robbe-Grillet, « Nous étions des terroristes»,
Le Nouvel Obs, n° 1715, 18-24 septembre 1997, p. 48.

La citation est belle, juste à mes yeux, trainant sur les bas-côté d'une recherche sur les "chemins de l'écriture"... la citation était incipit, porte ouverte dans un chapître laissé sur la toile d'un ouvrage de christian millat... dont voici quelques pierres de touche:

"Jean Ricardou reprend à son compte la théorie de Barthes : les écrivants « considère[nt] le langage comme un moyen. Pour [eux], le langage sert à véhiculer un témoignage, une explication, un enseignement », alors que, pour les écrivains, «l’essentiel, c’est le langage même ».

"...obligé de chercher sans cesse son chemin, hésitant entre les différentes voies qui se présentent, l’écrivain va être conduit à une perpétuelle incertitude […]. Les significations qui se dégagent alors de son oeuvre (ou, en d’autres termes, les rapports qui vont s’établir au cours de cette recherche) seront floues, imprécises, vacillantes, sans cesse contestées et contestables […]." Claude Simon, « Pour qui donc Sartre écrit ? », L’Express, 28 mai 1964, p. 32.

Une citation du Grand Sartre: « Il importe peu que la littérature soit dite ou non “engagée” : elle l’est nécessairement… ».
( J'ai donc relu deux trois ouvrages de la collection Harlequin avec cette phrase en tête en peinant à trouver l'engagement de l'auteur... et puis, de toute façon... comme tout est politique! Il avait le don ce Sartre de réduire les choses... il importe peu que la littérature soit dite ou non engagée, si l'on a pas auparavant dit ce qu'est "la littérature"... )

"...il semble reformuler par là une idée qu’il exprime déjà dans Qu’est-ce que la littérature ?, où il écrit que « se taire ce n’est pas être muet, c’est refuser de parler, donc parler encore » (QL, 30). Autrement dit, l’engagement de l’écrivain résulterait moins d’un choix librement effectué que du fait que, comme tous les hommes, l’écrivain est embarqué dans la société.
Semblablement, Robbe-Grillet note : « Engagé, le romancier l’est, certes — mais il l’est de toute façon et ni plus ni moins que tous les autres hommes […] » (A. Robbe-Grillet, « La littérature poursuivie par la politique », p. 33).
Cette espèce de banalisation de l’engagement littéraire est à rapprocher de l’impuissance sociopolitique qui est rattachée à celui-ci : « […] [I]l n’y a pas de livre qui ait empêché un enfant de mourir […] », avoue amèrement Sartre. En écho, Robbe-Grillet constate : « La littérature n’a jamais résolu de problèmes politiques. Mais », ajoute-t-il, « par sa forme toute littérature fonctionne politiquement ». Ainsi, pour le Nouveau Romancier, ce n’est pas parce que l’écrivain n’écrit pas à des fins politiques que son texte est dépourvu d’effets politiques. En effet, celui-ci n’est pas sans faire réagir l’idéologie, ainsi que le relève Robbe-Grillet : « Ce sont en partie nos premiers romans qui ont amené les réflexions de Foucault sur l’homme […]. Nous étions comme en train de créer une nouvelle philosophie que nous ignorions nous-mêmes […]». Au surplus, l’efficacité du texte ne se limite pas à la sphère des idées ; elle touche également le réel :
« Notre parole ludique n’est pas faite pour nous protéger, pour nous mettre à l’abri du monde, mais au contraire pour nous mettre en question nous-mêmes et ce monde, et par conséquent le transformer […] ».

De son côté, Robbe-Grillet s’insurge contre le « narrateur omniscient, omniprésent », qui n’a plus sa place dans un monde où « la connaissance que nous avons de ce qui est en nous et de ce qui nous entoure […] a subi […] des bouleversements extraordinaires», où « un autre homme est en train de naître […], fait de fragments mobiles et dépareillés […], détails brisés de l’homme ancien et de l’ancien monde ». Dans le Nouveau Roman, « le texte ne peut être que la structure mouvante où s’affrontent ces incertitudes, ces contradictions et ces manques ». C’est pourquoi, si un tel texte produit du sens, il s’agit nécessairement d’un « sens pluriel, décentré, ambigu, fluctuant, mobile, contradictoire, toujours remis en question, toujours en train de se retourner contre soi-même ».

En effet, pour Robbe-Grillet, l’oeuvre littéraire « ne se “consomme” pas». Quant au lecteur, " loin de le négliger, l’auteur aujourd’hui proclame l’absolu besoin qu’il a de son concours, un concours actif, conscient, créateur. Ce qu’il lui demande, ce n’est plus de recevoir tout fait un monde achevé, plein, clos sur lui-même, c’est au contraire de participer à une création, d’inventer à son tour l’oeuvre — et le monde — et d’apprendre ainsi à inventer sa propre vie."

Pour JPS, comme chez Robbe-Grillet, le rôle innovateur du romancier explique la distance qui peut séparer celui-ci et son lecteur : « Le public aussi a un effort à faire pour comprendre l’écrivain qui, s’il doit renoncer à des obscurités de complaisance, ne peut pas toujours exprimer en clair ses obscurs pensers nouveaux».

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