Derrière le rideau...



Ma mère m’a dit : « y’a une lettre pour toi ».
Timbre et cachet de la poste faisant foi.
Destination : Moi.
Moi sous un autre nom.

Origine : Tchéquie.
Destination : Moi.
Moi sous un autre nom.
Mon vrai nom. Avant.

Celui que plus personne ne connaît.
Effacé par un pseudonyme.
Et une identité moins anonyme.
Mon vrai nom.
Avant.

Suis connu désormais, sous un autre
nom
Identité usurpée. Construite.
Un personnage au nom du quartier.
Se fondre dans le lieu, habité.
Nom d’artiste. D’emprunt.
Nouvelle identité.
Reconnue.

Une lettre de tchéquie, reçue,
à mon ancien nom.
Je l’ouvre, déchire l’enveloppe,
Une invitation.

Un retour.
Ils m’ont retrouvé.
Le rappel.

Il faut y aller.

Je finissais à l’époque une installation
Nom de code posé : « diction directe »
Un atelier clandestin de typographe urbain
Et des commandos poétiques,
De noir vêtus, portant cagoules
Et lettres rouges sur le dos
S’échappant en ville, courrant les rues
Pour y inscrire des mots

Il faut y aller.
Retourner.
Tous seront là.
Un par pays.

Ils ont remonté la piste slovène.
M’ont retrouvé.
Ma mère m’a dit : « Y’a une lettre pour toi »
Timbre et cachet de la poste faisant foi.
Une invitation. Un ordre, déguisé.
Confirmation.

J’y serai.

Avion. Brno. Via Londres.
Attente.

Brno airport. A message.
« Take a taxi. It’s around 300 (we refund). Go to Zelny trh 9, a brno theatre. The man is called Ondra, he knows. You will be staying here. Pavel.»

Attente. Un jour. Une nuit. Autre message. Pavel :
« Are you ok ? I am in valtice. Preparing festival. Don’t you feel alone ? In this moment you are the only one of the poets in Brno. Some of the others sraying in Prague now. After tomorrow you can join José Almeida, Kristine Olsson and two others. Join them to tavel to valtice on train. I let you know. Pavel. »

Autre nuit. Autre jour. Le vibreur du cellulaire me sort de ma torpeur.
« Tomorrow at 2.30 PM in front of the Grant Hotel, there is a bus station, so be there. Roland Acsai will come from Budapest. Then we altogether by car to Valtice. We will solve laundry problem in Valtice. Pavel »

Demain. Le groupe se constitue.
Grant hotel. 14h30.
Un par un ils sont venus.
Par leurs moyens. Train. Bus. Air.

Neringa Abrutytë, Lithuanie; Roland Acsai, Hongrie; Joan-Elies Adell, Catalogne; José Antonio Almeida, Portugal; Stanska Hrastelj, Slovénie;Manfred Chobot, Autriche; Doris Kareva, Estonie;Dimitar Kenarov, Bulgarie; Jane Kirwan, Angleterre;Dimitris Kraniotis, Grèce; Jàn Litvàk, Slovaquie;Paul Maddern, Ireland; Colette Mart, Luxembourg; Immanuel Misfud, Malte; Els Moors, Belgique; Nora Nadjarian, Chypre;Eva Kristina Olsson, Suède ;Hermann Jan Ooster, Allemagne: Ilja Leonard Pfeiffer, Hollande; Denisa Mirena Pisçu, Roumanie; Edvins Rups, Lithuanie; Morten Sondergaard, Danemark; Michel Tabaszynski, Pologne; Bogdan Trojak, République Tchèque; Johanna Venho, Finlande; Lello Vocce, Italie;
26+moi

Et chacun donnera, lors d'une représentation publique, dans un langage qui lui est propre, la matière qu'il a engrangé dans chaque pays, sous couvert d'une culture, sous une autre identité, caché sous le masque d'un littérateur, de poète... il donnera en vers, libres ou pas, les codes d'accès à des places fermées, des lieux hautement stratégiques, habituellement clos, tu... des lieux intérieurs, en chacun de nous, selon les méthodes, des lieux qui ouvrent sur d'autres horizons que ceux prônés par le pouvoir en place... à moins que le poème ne soit qu'un alibi, pour dans de fins alexandrins, dissimuler les codes d'accès d'une une centrale nucléaire, la position d'une base marine secrète, le point faible d'un for intérieur.

La révolution sera… poétique.
Ou ne sera pas.

Tous les moyens lexicaux sont bons. Nous devons travailler l’informelle matière pour lui donner ses lettres de noblesse, s’enfoncer dans le vague de nos songes pour ouvrir les chemins nouveaux qui libéreront l’être humain du joug du langage.

Mes frères et sœurs, la révolution sera poétique.
Ou ne sera pas.

A chacun sa voix!
Quitter la masse par la porte étroite!

(Le lecteur et l'auteur se demandent tous les deux si cette "porte étroite" est une référence directe à André Gide? Peut-on voir là, une trace, une ouverture laissée entrouverte vers un autre monde, celui du Roman éponyme de Gide? Faut-il y voir un rapport avec "Les Faux-monnayeurs" du même auteur, du rapport entre un livre et du papier monnaie, de la valeur d'un texte? Et quid des "caves du Vatican" quand on sait que le retour de Tchèquie coïncide avec la venue du pape à Brno? (Voir autre poème de Dimitri Vazemsky sur le sujet)

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