Et si...



Je me souviens d'un tag encore visible sur une persienne blanche (une couche seulement par la brigade anti-tag laisse les lettres rouges transparaitre).
Je me souviens de ce tag "On se souvient".
Je l'ai dessiné dans mon carnet collectant les "marques" laissés sur les murs du quartiers. Celui-ci n'est pas un tag/signature. Il est lié au lieu. Quelqu'un qui se souvient, d'une chose. Là. A cet endroit précis. Et qui n'est plus.

Un vieux monsieur, croisé hier, après le bonjour habituel m'a dit... "Tiens au fait je l'ai retrouvé l'article..."
On en avait parlé une fois. Et lui avait fouillé ses archives pour me retrouver cet article de la Voix du Nord.
Le dessin de la persienne taguée était présent dans l'expo à Moulins, au milieu d'une affiche en 8 parties avec toutes les anciennes enseignes du quartier réalisé sur l'offset de Jean Jacques.
La persienne dessinée était pour moi un point de départ d'une ligne de sens s'étirant à travers l'atelier clandestin.

L'exposition est juste finie, démonté, des caisses encore trainent dans le coulor et je n'ai ces informations que maintenant, un peu trop tard.
Et pourtant, aisément, cet article je le place dans les "éléments fondateurs" de Diction Directe. A coté de Gainsbourg/Moulins, l'exposition précédant la mienne et qui occupait le lieu quand je l'ai visité pour imaginer ma propre exposition à lier soit avec Berlin, soit avec Istanbul. Très vite le lien se fait: Berlin. Et l'option cagoulée. Gainsbourg, le clan, le clan des cagoules, let's baby be cool... "Aux armes et caetera..." et sans également ce lien, qu'est ce qui, dans mon quotidien relie à Wazemmes à Berlin... réponse: ce tag, croisé tous les jours.

J'ai également, par jeu, très vite reproduit une toponymie personelle: quand je partais en vélo de Wazemmes vers Moulins, j'allais travailler à l'Est, le soir je rentrais à l'Ouest. Le Mur étant pour moi le Boulevard Victor Hugo. Signifiante tranchée. Bouche d'ombre.

je me suis souvent demandé qui avait pu sortir, un soir, une bombe rouge à la main et écrire ces quelques mots, comme écrit à ceux qui savent, ceux qui savaient : "on se souvient"
Pas de message.
Pas de signatures.
Rien de politique. Juste ça:
"On se souvient"

Une variante du "Remember me!". D'autres fantômes.
"On".
Qui "On"?
Des amis. Des Camarades?

Je viens d'apprendre une chose. Via internet.
Que ce couple de retraité vient d'être à nouveau incarcéré, en 2007, à Fresnes. Ils furent donc, à un moment, libérés.
Le tag n'a plus la même valeur pour moi. Les mots restent les mêmes mais le sens autour vient de changer:

"On se souvient"

Maintenant je les vois, un soir, la bombe à la main.
Revenir ici. Sur leur lieu de vie.
Et écrire ces mots.
Sur la persienne.
Lui et elle.
"On"




Je viens de retrouver une photo prise dans l'expo de l'affiche portant le dessin de la persienne taguée. Le sens également vient de se modifier. De par ces contenus nouveaux qui s'y immisce. De par le cadrage de la photo également. (Et cette question du moment du déclic, de la capture d'image, d'un sens attrapé dans la composition même de l'image, dans cet instant photographique de saississement... "CLIC", pourquoi ce cadre là l'a-t-il emporté sur les autres?).



Le sens vient de changer et les éléments se chargent, individuellement, et communiquent. Le tampon des mariés en habit datés vient d'être baptisé, lui, Werner Rapaport... elle, Lina Lange... "On..."
Le "Z" griffoné au dessus: une des lettres de "wazemmes", ( il y a une lettre par affiche, et les affiches réunies reconstituent le mot complet), ce "Z" fait maintenant écho avec le "z" des "RZ", abbréviation de "Revolutionare Zellen" (Cellules Révolutionnaires).

Et par un léger glissement ce "Z" se charge instantanément d'un autre "Z". Celui de Costa-Gravas.
Et dans un deuxième temps, un baton est placé dans cette ouverture:
"c'est la cristallisAAAAtion.... comme dit Stendhal":

"Z"
Deux Oscars en 70. Année de naissance. Bain culturel. Je n'ai aucun souvenir du film. L'ai-je vu? Il serait temps de le revoir. (Avec une vision formatée par cette série sémantique croisée). En grec, « Ζ » (zêta) peut se lire comme l'initiale de « ζει / zi », qui signifie « il vit » ou « il est vivant ». C'était la lettre que les opposants inscrivaient sur les murs pour protester contre l'assassinat du député. Tag; "On se souvient". Pratique commune. Marquer l'Espace d'une Histoire (cf "Vols de flamands roses" 1998).

Au tout début du film on peut lire : « Toute ressemblance avec des événements réels, des personnes mortes ou vivantes n'est pas le fait du hasard. Elle est VOLONTAIRE ». La fiction comme interrogation du réel. Mise côte à côte. VOLONTAIREMENT.

La musique de ce film a été composée par le compositeur grec Mikis Theodorakis. En réponse à Costa-Gavras, qui lui fit demander durant sa détention pendant la dictature des colonels, d'écrire la musique de son film, il lui fit passer ce mot : « Prends ce que tu veux dans mon œuvre. ».
Musique non originale : Psyche Rock, co-écrit par Pierre Henry et Michel Colombier pour Maurice Bejart et son ballet Messe pour le Temps Présent.
Les bandes magnétiques exposées dans l'exposition sur le vieux magnétophone à bandes sont celles écoutées durant mon enfance, je n'ai de souvenir précis que de la messe du temps présent de Pierre Henry, passant en boucle.
Je dois aussi avoir quelque part le 45 tours de "Z". Un classique sur braderie.

Wikipédia est formel:
"Nous sommes à la fin des années 1960, grande époque des films politiques où l’on dénonce le totalitarisme sous toutes ses formes. On considère alors que tous les rouages de l’appareil régnant sont corrompus de haut en bas, du plus riche au plus pauvre... Malgré la normalisation finale du récit, Z reste le symbole de la déstabilisation que l’on peut faire subir à un ordre établi mais contesté."

Ordre établi. Celui du sens. Commun. Doxa.
Chemins de traverses dans la création du sens. Chemin détourné. Pas de sens direct. Idéologie des liens préconstruits tout de suite évoqués et primant dans l'association et la création du sens. Les sens directs et communs impliquent une certaine idée de l'oeillère. Le jeu, celui d'un certain décallage, refusant les chemins de l'éfficacité première de l'image associée, est celui de l'anamorphose. Du pas de coté. Havre des pas.
Et d'un temps pris. Attentif.
Pour voir autrement.

Un autre lien se fait par l'association de deux images, tirées chacune d'un film de Costa-Gravas, et réunies sur la même Vidéo Cassette:



"A"
Présent dans l'expo. La lettre écarlate. Hawthorne.
"Z"

Game over pour aujourd'hui. Je cherche ces tourbillons de sens. Le moment où la trappe cède sous les pieds pour une floraison de connexions. Produisant une expansion. Comme une justification. Du sens.
Et par là-même, un lien au monde.

A l'image d'une anémone ouvrant ses branchies pour filtrer le plancton, puis se refermant...
Ou d'une balane, incrustée sur le rocher, à marée haute immergée. Un temps.
Coquille, centrale immobile. Cratère minéral d'où éruptent les cirres. Filtrant les organismes en suspension.
En aucun cas prédateurs. Le nom est "suspensivore". Se nourrissant par filtration du monde qui les entoure.
A marrée haute. Altitude zéro.
La fixité se nourrit de la vague, la filtre pour augmenter ses concrétions calcaires. Sa coquille. Sa carapace.

Niveau zéro de l'écriture. Le suspensivore se nourrit d'une intuition, d'un sentiment attrapé dans l'autour que quelquechose est en train de se passer. Et va vers sa résolution. L'immanence d'un certain suspens.



à suivre...

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